Construction décor pour le film d’Ysé Sorel – Déluge Mineur Rouge Cendre

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19.12.24 / 05.02.25
Production : Le Fresnoy, Studio National des arts contemporains
5 à 7 films
partenariat avec la Condition Publique pour l’espace de fabrication

Dans le cadre de la filière Art.image, j’ai réalisé un décor sur le film Déluge Mineur d’Ysé Soreil, artiste du Fresnoy, au sein de la Condition Publique. Cette construction a été l’occasion pour moi de m’immerger dans un environnement professionnel créatif où j’ai pu participer activement à la réalisation d’un élément de décor ambitieux : une sculpture représentant une baleine de douze mètres. Cette pièce devait être à l’échelle réaliste, tout en respectant des contraintes techniques strictes liées au tournage (mobilité, légèreté et résistance au vent, réalisme visuel). Cette expérience a été extrêmement enrichissante et m’a permis de mieux comprendre les réalités du métier de cheffe décoratrice. J’ai été impliqué dès les premières étapes, de la recherche de références visuelles à la mise en volume, jusqu’aux finitions.

Déroulement du projet

-Phase de conception

Compréhension des intentions artistiques de la réalisatrice. 

Étude de la morphologie des cétacés pour garantir une représentation crédible.

Réalisation de croquis, moodboard et de maquette.

-Sculpture et mise en forme

Réalisation de la sculpture externe et «mise en peau» (hors ossature métal).

Découpe et modelage des blocs de polystyrène

-Finitions et textures

Application de ouate, latex et fibres.

Patine pour simuler la peau

-Vérification technique pour s’assurer de la solidité et de la sécurité de l’installation.

Si la production a démarré en décembre, le travail préparatoire a commencé en amont par la mise en relations avec le pôle installations du Fresnoy. A partir de dessins préparatoires et d’une maquette en tige d’acier, le pôle installation a soudé la structure qui allait accueillir la sculpture en polystyrène. Ayant déjà travaillé en assistanat décoration, je connaissais les étapes. La difficulté était de les gérer dans un délai court. C’était aussi apprendre à orchestrer entre un budget restreint et le matériel à disposition.

Au vu de la demande – un cétacé d’une dizaine de mètres, dans une recherche d’économie et par question éthique, j’ai, de contacts en contacts,  pu recevoir des dons gratuits d’entreprises spécialisées pratiquant le recyclage circulaire du polystyrène. L’Atelier du polystyrène (Paris) et Knauf Circular (Arras) ont tous deux permis d’avoir la majorité de la matière première. 

La construction a commencé le 19 décembre sur le grand plateau de la Halle C de la Condition Publique, partenariat permis par Barbara Merlier, productrice magnifique du film. Les premières étapes ont consisté en la sculpture de la forme par extrusion (pour la tête) ainsi que par l’assemblage de la queue et des côtes. Il a fallu prendre des décisions de process avec assez peu d’expérimentations, le temps et la matière ne permettant pas d’erreurs.

Cherchant aussi à être formée, Pascal Renard, chef décorateur à l’Opéra de Lille est venu m’aider pour la sculpture de la tête. Ce furent deux jours très enrichissants où nous avons pu travailler de concert au fil chaud. Nous avons également discuté patines et tips. Les échanges ont été très enrichissants !

Vue haut – Hall Condition Publique – Rouge Cendre

La semaine qui a suivi la sculpture de la forme, je me suis attelée à travailler un tissu vinyle comme on travaillerait une peau en taxidermie, à la différence que le vinyle ne se rétractant pas, il fallait pouvoir contre-coller le tissu sur une ouate qui venait, elle, reproduire l’anatomie musculaire. Convaincue qu’il fallait trouver une voie entre taxidermie et tapisserie d’ameublement, je me suis rendue à l’Atelier du décor à Lille.

A nouveau Barbara Merlier, d’une gentillesse et énergie peu commune, m’a mise en contact avec Yves Gaumetou, taxidermiste avec qui j’ai eu plaisir à échanger. Nous avons discuté détails et finesse réaliste, reproduction du vivant et humilité face au geste créateur.

Une fois la peau posée, arrivait ma partie préférée, celle du texturing et du presque-vrai. Pour la reproduction des parties musculaires apparentes, j’ai effectué plusieurs tests de matières, avant de trouver mon alliage, laine teintée pour le côté fibreux du muscle, de la gélatine pour sa texture et cire blanche pour imiter les fascias.  J’ai réellement découvert avec joie les possibilités permises par la gélatine, testant différentes températures pour garder plus ou moins de transparence, d’élasticité et densité. 

Textures – Rouge Cendre
Textures – Rouge Cendre

S’ensuivit la partie patine peinture, y mélangeant sable et latex pour travailler une peau travaillée par la mer,  striée, écorchée vive aux stigmates encore frais d’un échouage douloureux.

Le spécimen a été traité à 360° retravaillant chaque détail pour que si l’œilleton de la caméra s’y balade, ou un regard, rien ne puisse lui échapper. 

J’ai accueillis avec joie le maître du décorum texturé Bertrand Mandico, artiste professeur invité, que de films fumée avais-je aussi rêvé !

Après ce mois et demi dense, le jour du tournage arriva !

Bras dessus, bras dessous, nous enfournons les trois parties de plusieurs mètres et les quelques côtes, direction Boulogne-sur-mer.

Une remorque nous a été prêtée par la mairie pour atteindre le spot à quelques centaines de mètres de sable. Le ciel promet une belle journée. Le lieu du shoot se trouvant vers le bunker du Crabe, nous faisons plusieurs allers retours. Commence l’installation et la mise en scène (ensabler les organes et fondre le spécimen entre les rochers). Puis quelques prises de vues, à peine le temps d’un souffle, et je remballe Ana Stazia, notre baleine . 

Elle aura au moins vu la mer.

Jour de tournage – Plage de l’Escaut – 2025 – Rouge Cendre

J’ai énormément appris en termes d’organisation d’un projet nécessitant beaucoup d’étapes et de compétences différentes. Si cela fut angoissant, c’est aussi l’apprentissage de gérer et d’anticiper chaque étape. C’est rêvé de celle qui suis, le geste précis, pour débiter du gros œuvre rapidement. Car alors que travaillant sur quatre mètres, on se retourne et il en reste sept autres ! La réactivité, l’ingéniosité de la décoration est de rendre compte, trouver des solutions pour tromper l’œil dans des ressources finies de matériaux divers. Créer le décorum, défendre la revanche du rêve sur un monde en plaies. La scénographie, l’installation s’y rejoignent aussi, j’ai eu plaisir à tenter de rendre compte, du faire croire, de finir par la voir, cette Baleine, mais l’avez vous vu vous ?

Etape de fabrication – L’oeil – Rouge Cendre

Je remercie particulièrement Ysé Sorel et Barbara Merlier pour la confiance accordée, le soutien constant et l’énergie transmise. Cette folie douce est un projet de femmes qui ont rendu réel ce que l’on disait impossible ! 

Ce projet m’a rassuré quant à mes capacités à faire et sur la sensibilité particulière que je donne au rendu. 

Toutes ces semaines, je n’ai cessé d’avoir peur de n’être à la hauteur, j’ai su me prouver que j’étais capable de concevoir et fabriquer un décor de plus ou moins grande envergure.

Tout cela a été rendu possible grâce aux différents intervenants du Fresnoy et de la Condition Publique qui ont réaffirmé les liens entre Décor et Cinéma/ Installation. 

Ce projet m’a permis de découvrir la richesse et la complexité du métier de constructeur.ice de décor, notamment :

L’importance du travail en équipe : la coordination avec les différents intervenants a permis la cohérence et l’efficacité du projet.

La rigueur technique : j’ai appris à contrôler mon geste pour le laisser parler.

La polyvalence : j’ai manipulé différents matériaux, du dessin à la sculpture, du transport à l’installation.et adapté mon savoir-faire à une demande artistique.

L’adaptabilité : les délais sont souvent courts, et il faut faire preuve de réactivité face aux imprévus ou aux modifications de dernière minute.

Mais j’ai avant tout compris combien c’est le sensible, jamais sans mais plus parfois que le geste technique, qui permet de rendre compte du réel, comme si, sitôt qu’il se voudrait si bien sculpté, il fallait jouer de l’aspérité, de l’asymétrie pour lui en donner sa poésie.

Ce projet a confirmé mon intérêt pour le secteur de la construction de décor et m’a permis de mieux cerner les compétences nécessaires pour évoluer dans ce domaine. La réalisation de la sculpture de baleine fut un défi à la fois technique et artistique. 

J’en ressors avec une meilleure compréhension des réalités du terrain, un respect accru pour les artisans du cinéma, et l’envie de continuer à me former pour, un jour, contribuer moi aussi à créer des mondes de fiction aussi vivants que spectaculaires,

Du reste, voici quelques images, archives, vestiges !

Ana Stazia in situ – Plage de l’Escaut, J1 Tournage
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