RAPPORT DE STAGE Julie Everaert
Stage effectué du 16 mars au 10 juin 2021
Au sein de l’institution du Fresnoy–Studio national des arts contemporains
Auprès de l’artiste Magalie Mobetie pour son projet d’installation Anba tè, adan kò
Dans les ateliers, pôle installation, studio photo, studio son et salle synthèse du Fresnoy, Tourcoing
Chargée d’assistanat à la réalisation
Cursus Art.image, 5ème année
École Supérieure d’art du Nord-Pas de Calais Dunkerque/Tourcoing, site de Tourcoing
REMERCIEMENTS
Avant de développer cette expérience professionnelle, il me paraît opportun de commencer à remercier toutes les personnes qui ont permis la mise en place de mon stage. Je remercie ma maîtresse de stage, Magalie Mobetie, qui m’a formée et accompagnée tout au long de cette expérience avec beaucoup de patience, d’énergie et de pédagogie. Je remercie Nathalie Stefanov, responsable de la Filière Art.image, qui a su me prodiguer d’excellents conseils. Je remercie les institutions de l’École Supérieure d’art du Nord-Pas de Calais Tourcoing et le Fresnoy-Studio national des arts contemporains de permettre un échange entre les étudiants des deux écoles. Je remercie Cyprien Quairiat, responsable du pôle installation, pour le temps qu’il a pris à me former aux différentes machines de manufacture. Je remercie également Pauline Delwaulle, Julie Machin, Valentine Gelin et Alexis Hallaert. Un grand merci à Eric Prigent qui a toujours su prendre soin des étudiants d’Art.image et nous accorder une confiance et un accès au Fresnoy-Studio national des arts contemporains. Ce stage n’aurait pu être possible sans eux.
INTRODUCTION
J’ai effectué un stage au sein de l’institution du Fresnoy du 16 mars jusqu’au 10 juin 2021, auprès d’une artiste-étudiante de la promotion Marie Curie de 2020-2022 qui se prénomme Magalie Mobetie. Le projet de cette artiste est de réaliser un travail de recherche autour de l’héritage épigénétique. Elle s’interroge sur la théorie suivante : les traumatismes vécus par un ancêtre ou une population pourraient-ils encore aujourd’hui subsister chez ceux qui ne l’ont pas vécu, notamment en s’exprimant à travers leurs gènes ? Ce travail d’enquête a pris la forme d’une installation constituée d’un arbre, des tiban (petits bancs en créole) et d’une tablette avec une application en réalité augmentée.
A l’aide de l’application en réalité augmentée, le visiteur rencontre, autour de cet arbre, les corps des membres de deux familles, représentés en scans 3D, assis sur les tiban. Il s’agit des familles de l’artiste. Les corps scannés paraissent tous reliés et pourtant distants les uns des autres, comme des pâles copies de ces êtres bien vivants. Que se cache-t-il sous ces peaux ? Sous leurs noms ?
Le visiteur peut entendre leurs échanges, en étant accompagné et guidé par le scan 3D de l’artiste, celle qui fait le lien entre toutes ces personnes, afin de l’aiguiller sur la recherche de ses propres fantômes.
Mon rôle était d’assister à la réalisation. Pour cela, je devais aider Magalie Mobetie à la réalisation de sa pièce : construction de l’arbre et de ses feuilles composées de visages, assemblage des tiban et leur donner un aspect vieilli, création de son scan 3D, observation du montage son et du programme interactif, questionnement de l’éclairage et de l’assemblage.
En compagnie de l’artiste, j’ai appris à mieux visualiser les enjeux et les différents soutiens qui peuvent intervenir dans un processus créatif. J’ai ainsi pu découvrir et élargir un grand nombre de compétences liées à la recherche pour un projet qui part d’un fait historique et familial, à sa représentation et à sa réalisation plastique et technique. J’ai trouvé l’œuvre de Magalie Mobetie très personnelle et engagée. Elle donne à voir des faits réels sur l’Histoire de l’esclavage et de la traite négrière qui ont été longtemps tabous et met en relief des questionnements actuels.
Au-delà d’enrichir mes connaissances, ce stage m’a permis de comprendre dans quelles mesures les rapports professionnels et artistiques sont régis par des règles, des vécus et des structures qu’il est important de connaître pour mieux appréhender son œuvre.
DESCRIPTION
L’héritage épigénétique a l’air de condamner une lignée à revivre les mêmes blessures que ses aïeux. Anba tè, adan kò (sous la terre, dans le corps en créole) met en avant l’oubli et le silence qui semblent avoir repoussé une confrontation avec certains fantômes du passé dans deux familles issues de la culture caribéenne.
Au sujet de la dimension visuelle de Anba tè, adan kò, la pièce est composée d’assises et des tiban (l’un des seuls objets que les esclaves pouvaient posséder). L’arbre se compose de huit branches, faites à partir de cordes qui surplombent les assises. L’entremêlement des liens dans la corde vient former le tronc et les racines. Un mât central permet de soutenir l’ensemble des cordages. Les feuilles de l’arbre sont faites à partir des visages des membres de sa famille récupérés en photogrammétrie. Ces visages sont imprimés avec la technique de l’impression 3D, puis un moule est fait en plâtre. Ils sont ensuite thermoformés à l’aide de feuilles en plastique. Enfin ils sont sablés. L’aspect final se veut translucide.
A l’aide d’une tablette et d’une application en réalité augmentée, il est possible de voir apparaître, assis autour de l’arbre, des personnes de la famille de Magalie Mobetie en scan 3D et d’entendre l’échange qu’elles ont eu avec l’artiste, qui représente pour eux leur fille/petite-fille/arrière- petite-fille/nièce/petite cousine.
Les tiban sont disposés en cercle autour de l’arbre. Le visiteur n’est pas invité à s’y asseoir, il y aura donc de la terre sur le sol pour le dissuader, car ce mobilier est fait pour accueillir les corps en réalité augmentée. L’application effectue la reconnaissance en prenant comme support ces mobiliers.
Les corps sont créés à partir du procédé de photogrammétrie. Ce procédé nécessite de tourner autour de chaque sujet afin de récupérer, à l’aide de photographies, un maximum d’informations concernant sa forme. Les corps sont amenés à se dissoudre en particules.
Au sujet de la dimension sonore, il existe deux sources sonores dans l’œuvre Anba tè, adan kò : une source venant de l’arbre (son d’ambiance, d’extérieur dans un jardin en Guadeloupe) et une source venant de la tablette (les sons de la tablette ne sont enclenchés que si l’application est en route et que la détection de l’assise est faite). Il s’agit des échanges entre Magalie Mobetie et les membres de sa famille, lors d’un passage en Guadeloupe effectué en février 2021. En fonction de la proximité avec un corps, le spectateur entend le dialogue entre l’artiste et ce membre de sa famille. Au court de l’écoute de ces conversations, le spectateur comprend alors l’histoire de ces deux familles et de l’artiste. Le travail d’enquête mené par l’artiste lorsqu’elle est directement allée sur place interroger les membres de sa famille se retrouve dans l’enquête que mène à son tour le spectateur pour comprendre l’intrigue.
L’application en réalité augmentée se veut intuitive. L’utilisateur est libre de se déplacer comme il le souhaite.
Magalie Mobetie, pôle installation, 2021 Julie Everaert, Magalie Mobetie, Valentine Gelin, studio son, 2021 Julie Everaert, pôle installation, 2021
TRAVAUX EFFECTUÉS
Mon stage a consisté essentiellement à la réalisation plastique et technique de la pièce et à l’observation du montage sonore et de la programmation de l’application. Nous échangions régulièrement nos idées et nos points de vues. Il s’agissait d’un véritable échange. Ma maîtresse de stage étant la créatrice du projet, j’ai pu apprendre dans d’excellentes conditions les différentes étapes d’élaboration et de conception d’une œuvre. J’ai dû fournir un travail de réalisation pour la mise en place de la structure finale, en prêtant attention aux désirs artistiques de Magalie Mobetie, aux différentes contraintes techniques et avec son budget alloué. J’ai donc du faire face à de nombreux détails pour finalement trouver les formes et les matériaux ayant les capacités et les qualités demandées. En parallèle de ce travail de réalisation plastique (impression 3D, thermoformeuse, sableuse, fraiseuse, découpe CNC…), j’assistais à l’élaboration de la réalisation sonore avec l’ingénieur son sur le logiciel Protools, ainsi que la réalisation du programme avec l’ingénieur sur le logiciel Unity. J’ai également réalisé un scan 3D de Magalie Mobetie grâce à la technique de la photogrammétrie avec les logiciels Agisoft Metashape et Cinéma 4D. Il y a eu également un rendez-vous avec un technicien afin de voir quel éclairage mettre en place pour la pièce et des échanges multiples avec des enseignants et artistes du Fresnoy. Ce stage m’a donc permis de nombreux apports variés et enrichissants. J’ai eu l’opportunité de découvrir plusieurs corps de métiers sous toutes leurs formes, avec leur contraintes et de comprendre de manière globale les difficultés que les artistes pouvaient rencontrer dans l’élaboration de leurs pièces. J’ai donc pu suivre l’ensemble des étapes du projet, ce qui est particulièrement formateur.
Magalie Mobetie a su m’accorder une confiance me permettant d’assister à toutes les réunions de production au sein du Fresnoy. Grâce à cela, j’ai pu suivre de très près les démarches et les évolutions du projet. J’ai pu accompagner Magalie Mobetie à tous les rendez-vous mis en place pour le projet, m’ouvrant ainsi au multiples pôles du Fresnoy (pôle installation, pôle photo, pôle son, pôle synthèse). Au sein de ces réunions, j’apportais mon soutien à Magalie Mobetie tout en cherchant à trouver des solutions lors de certaines contraintes économiques ou techniques nous forçant à modeler la pièce de différentes manières.
Julie Everaert, Magalie Mobetie, pôle installation, 2021 Julie Everaert, pôle installation, 2021 Julie Everaert, différentes étapes de fabrication des feuilles, 2021
APPORTS DU STAGE
Au cours de ce stage intense, j’ai beaucoup appris. Les apports que j’ai tiré de cette expérience professionnelle sont aussi bien les compétences acquises que les difficultés rencontrées et les solutions apportées. Tout d’abord, j’ai assimilé de grandes compétences dans le travail de réalisations et savoir-faire techniques. J’ai passé beaucoup de temps à créer des parties de la pièce dans le pôle installation, m’ouvrant à des interlocuteurs divers, aussi bien au niveau des différentes techniques, que de logiciels, de nouvelles machines et des matériaux variés. Ensuite, j’ai effectué un travail d’observation du montage sonore et de la programmation de l’application, ce qui m’a permit de me confronter à des problématiques qui m’étaient jusqu’alors inconnues, telles que comment donner un effet de voix fantômes à un enregistrement audio, comment donner l’impression qu’un corps se désintègre numériquement, comment garder tous les détails et textures d’une captation numérisée dans un fichier moins lourd ?… Magalie venant d’un domaine plus technique et moi plus pratique, ce fut un réel plaisir d’échanger nos points de vues. J’ai aussi acquis en plus des nouveaux savoir-faire, des compétences en terme de communication et de relationnel grâce aux multiples échanges que j’ai pu avoir avec les professionnels de production. J’ai appris ainsi à me saisir des mécanismes techniques et budgétaires d’un projet. J’ai également approfondi mes connaissances sur l’Histoire de la traite négrière et de l’esclavage dans les territoires d’Outre-mer. J’ai mieux saisi les problèmes que cela pouvait engendrer, notamment sur les questions d’identité et d’appartenance à une certaine culture et à un certain passé.
Julie Everaert, pôle installation, 2021 Magalie Mobetie, Alexis Hallaert, Grande Nef, 2021 Julie Everaert, Magalie Mobetie, studio photo, 2021
CONCLUSION
Durant cet enrichissant stage, j’ai eu l’opportunité de découvrir les différentes étapes de réalisation d’une œuvre et de comprendre de manière globale les difficultés que les artistes pouvaient rencontrer dans leurs échanges avec différents partenaires, soumis à certaines conditions. J’ai compris que pour la mise en place d’un projet artistique professionnel, une capacité d’adaptation ainsi que des compromis étaient nécessaires.
J’ai eu la chance d’assister à toutes les réunions de production du projet, m’ouvrant ainsi à la rencontre d’interlocuteurs différents. Auprès de Magalie Mobetie, j’ai acquis une grande capacité d’adaptation. J’ai pu faire face aux valeurs de chacun des acteurs du projet (l’artiste, l’équipe technique, l’ingénieur son, le programmeur…) et j’ai appris à me modeler en fonction de tous les partis afin d’en tirer le meilleur bénéfice pour le projet. La rencontre et les échanges que j’ai eu avec les différents pôles techniques du Fresnoy m’ont également confirmé l’importance de la communication et de l’entraide dans le processus de création. Ce fut donc, au-delà de connaissances pratiques, un profond enrichissement sur les tenants et les aboutissants d’un projet artistique professionnel mettant en jeu différents acteurs et milieux. Ainsi, grâce à ce stage, je suis plus à même de comprendre les engagements et le travail que nécessite un projet professionnel, ainsi que tous les aboutissants d’une pièce avec un budget défini. La conclusion de ce stage est particulièrement positive. Au-delà de mon plaisir à évoluer dans un univers artistique engagé, ce stage n’a fait que confirmer ma volonté et mon désir de devenir artiste. Ayant participé aux différentes étapes de production et de réalisation du projet Anba tè, adan kò, je peux désormais porter un regard professionnel sur l’activité d’artiste et entrevoir les différentes démarches à effectuer pour réaliser une œuvre complète et destinée à un public, au sein d’un espace d’exposition.
Anba tè, adan kò a obtenu le Prix Installation – Les Amis du Fresnoy.
Art In Progress | Magalie Mobetie #1